« Il faut avoir du chaos en soi pour accoucher d’une étoile qui danse« disait Nietzsche. C’est ce que peut permettre le burn out grâce à la traversée du chaos qu’il engendre. L’arrêt brutal du corps, l’arrêt brutal du monde permet de venir interroger nos modes de fonctionnement et de pointer ce en quoi nous nous sommes désalignés. Où avons-nous bifurqué et pris le chemin de traverse qui nous maintient comme des hamsters dans une cage, dans la logique court terme de notre prochain tour de roue ?
Etrange période, de mémoire de grands-parents, nul n’avait connu une pandémie de cette envergure. Non pas qu’il n’y en ait jamais eu, mais aucune ne mit le monde à l’arrêt ou dans un tel ralenti. Notre interdépendance est mise en évidence à travers la mondialisation et le coronavirus ne s’y est pas trompé…
Ce burn out mondial montre notre interdépendance et nous amène à nous recentrer.
Au-delà du désastre sanitaire, le désastre économique est important pour un grand nombre de secteurs et d’entreprises. Nous avons bien compris, à force de répétition sur les réseaux sociaux, que chacun espère que l’après ne serait pas comme l’avant. Pourtant, nous pouvons observer des faits qui indiqueraient le contraire : les constructeurs automobiles veulent relancer au plus vite la production alors que les voitures stockées s’entassent sur leurs parkings, le MEDEF demande à décaler le moratoire sur le climat pour donner plus de flexibilité aux entreprises, la commission européenne s’appuie sur une multinationale américaine, première gestionnaire d’actifs au monde (BlackRock), pour l’aider à revoir les pratiques bancaires pour « l’après », certains employeurs exigent de salariés qu’ils travaillent alors qu’ils sont en chômage partiel, et nous pourrions en citer bien d’autres. Ces quelques exemples ne sont pas à juger car ils pointent les comportements qu’une entreprise ou une organisation va mettre en place pour faire face à la peur, et notamment la peur de mourir.
Abraham Maslow l’avait pointé avec sa pyramide, nos peurs sont activées par le risque -avéré en l’occurrence – que nous ne puissions satisfaire nos besoins vitaux : la sécurité, la survie, la nourriture, entre autres. Ces peurs, largement alimentées par les médias, font ressortir nos comportements profonds, les « beaux » comme les « laids », la lumière comme l’ombre. Beaucoup se sont rués sur les supermarchés pour faire des stocks (la question reste entière concernant le papier toilette et le lien avec les besoins fondamentaux…), des infirmières ont reçu des lettres de menaces de ceux qui sentaient un danger pour leur vie. Dans un même temps, de nombreux mouvements solidaires ont vu le jour pour préparer des repas au soignants ou aider les plus démunis.
Le monde d’avant… Il porte pleinement les caractéristiques de la part de « masculin » que nous avons chacun en nous. Pas de caricature, en évoquant les valeurs du masculin ou du féminin, je ne parle pas des hommes et des femmes, mais de ce qui nous constitue profondément et nous donne notre palette de comportement, de regard sur notre environnement. Ainsi, lorsque chacun d’entre nous exprime sa part de masculin, nous nous appuyons sur notre capacité à structurer, organiser, utiliser la logique, établir ou faire valoir les règles, et dans ses aspects négatifs, nous pouvons être dans la dominance ou la toute-puissance. Là non plus il ne s’agit pas de juger, cela ne ferait que bloquer notre réflexion.
Si nous sortons du déni pour accepter de voir cette toute-puissance qui s’exprime, alors nous pouvons la transformer, nous transformer. Quelles formes prend-elle ?
- notre supériorité affichée sur la Nature. Nous pensons être au-dessus des lois de la Nature et tirons impunément sur ses ressources, sans nous occuper du monde que nous laisserons à nos enfants,
- la dominance sur les salariés, visible par l’augmentation du harcèlement moral et du nombre de burn out,
- la prise de pouvoir sur l’autre, qui s’exprime de façon extrême par l’accroissement des violences conjugales,
- nous nous pensons plus forts que la Vie : nous faisons des choix et imposons « ce qui est le mieux pour l’entreprise / l’équipe / le collaborateur » sans écouter les signes qui devraient nous alerter.
Rien ne sert d’accentuer ce tableau. La toute-puissance est d’avoir l’illusion de supériorité, ou l’illusion de croire que nous savons exactement ce qu’il faut faire pour l’autre, pour l’entreprise, pour la société, sans s’occuper des signaux faibles… de moins en moins faibles. C’est ce qui se passe dans un burn out, le salarié surinvesti continue à se donner corps et âme à son activité, sans voir que son environnement n’est peut-être pas prêt à évoluer, ou que les conditions ne sont pas réunies. Mais sa conviction profonde qu’il suit la bonne voie l’empêche de prendre du recul et de ralentir pour se réajuster. Conséquence : l’arrêt est brutal.
Effectivement, beaucoup de secteurs sont à l’arrêt. Intéressant… que se passe-t’il pendant cette pause imposée ? Chacun est poussé à se recentrer sur l’essentiel. Pour certains c’est en famille : cela met en évidence la qualité des liens qui unissent, les moments précieux passés ensemble. Ou à l’inverse, cela pointe l’artificiel du lien, le compromis qui n’est plus supportable et qui amène par exemple à une recrudescence des divorces en Chine en sortie de confinement. Pour ceux confinés seuls, cela pousse au recentrage et fait vivre l’expérience de la solitude aussi. Les métiers fondamentaux sont mis en exergue, les « bullshit jobs » aussi… Ce qui n’a pas de sens saute aux yeux. La conséquence n’est pas des moindres : faire « comme on faisait d’habitude » parce que « c’est comme ça qu’on a toujours fait » ne marche plus. Le non-sens éclate au grand jour : les décisions politiques ou d’entreprise court-terme, les disparités de salaire entre certains métiers (on ne peut bien sûr pas comparer le salaire d’une infirmière et celui d’un footballeur, mais cela donne à réfléchir). Tout cela alimente la sensation de perte de sens. Mais cette perte de sens -caractéristique du burn out- n’est pas irréversible. Pour en sortir, il s’agit de retrouver sa marge de manœuvre (que nous n’avions jamais perdue… sauf de vue), et par là même, sa responsabilité.
Le plus confortable, et pourtant le moins réaliste, est de croire que « c’est pas ma faute, j’y peux rien ». Non, vraiment ? Lorsqu’une entreprise, qu’elle vende en France ou à l’étranger, se fournit en Chine par exemple, elle contribue à la mondialisation et elle ne contribue pas au développement des réseaux locaux. Elle se retrouve pleinement impactée, par la nature des choix qu’elle a faits. Chacun d’entre nous peut observer en quoi il a contribué à la situation actuelle, à travers les choix qu’il a fait, si infimes soient-ils. A notre niveau, nous avons participé à un mouvement plus général du système, nous avons induit quelque chose. Et le coronavirus n’est qu’un élément qui met en évidence nos modes de fonctionnement.
L’issue existe ! Elle nous demande à revoir ce qui nous importe et notre façon de fonctionner. Alors, « stop ou encore ? »
Que sommes-nous prêts à laisser partir de nos modes de fonctionnement, de nos modèles mentaux ?
Nous devons nous reconnecter à nous-même, à ce que nous portons profondément.
Devons-nous uniquement nous appuyer sur ce monde d’avant pour faire le monde d’après ? Il y a au moins deux options pour agir en situation de transformation :
- soit nous nous appuyons sur ce qui a été fait pour le faire évoluer, en fonction de ce qui a marché ou pas,
- soit nous captons ce qui demande à émerger, sous forme de signaux faibles, pour le développer.
Les deux ne sont pas incompatibles, mais la plus courante reste la première option, car elle s’appuie sur le connu, ce que nous savons déjà faire. Einstein disait « on ne peut pas résoudre un problème avec le même mode de pensée que celui qui l’a créé« . J’aurai donc tendance à proposer d’expérimenter la deuxième option : s’appuyer sur l’émergence.
Il est alors intéressant d’avoir à l’esprit les travaux de Philippe Guillemant, physicien quantique, qui, comme d’autres physiciens avant lui, a pointé l’impact que nous avons sur notre futur. Selon lui, le futur existe déjà, dans le présent, à l’état de probabilité. La probabilité d’aller vers un futur ou bien un autre dépend fortement de nos pensées et de nos intentions. C’est un peu comme s’il existait des futurs superposés et que nous pouvions influencer les probabilités que l’un ou l’autre se réalise en fonction de nos choix et de nos actes. Au-delà de l’aspect théorique, il y a donc un aspect très concret, c’est celui de notre propre action. Pour que ce futur prenne forme, il est essentiel que chacun d’entre nous se connecte à ce qu’il porte profondément, à ce qui fait sens pour lui.
C’est un point essentiel du recentrage auquel cette pandémie nous appelle : si nous continuons à nous occuper de ce qui se passe à l’extérieur de nous-même (la famille, l’entreprise, les réseaux sociaux) sans être attentif à ce qui se passe au-dedans de nous, alors nous passons à côté de cette opportunité de transformation individuelle, et donc collective.
Au moment où vous lisez cet article, prenez le temps -si ce n’est déjà fait- de vous demander ce qui compte vraiment pour vous, ce qui vous nourrit, ce qui vous redonne de l’énergie, quels sont vos talents naturels. A quoi, au plus profond de vous, avez-vous envie de contribuer ? Quelle que soit l’envergure des réponses qui vous viennent, ne censurez rien, car vous êtes connecté à vous. Si maintenant vous mettez cela en perspective de la réalité de votre vie quotidienne, professionnelle, familiale, intérieure, alors vous pourrez détecter des décalages, et choisir ou non de vous ajuster pour être plus en cohérence avec ce qui vous importe vraiment.
Le même questionnement s’applique au niveau collectif. Qu’observons-nous de ce qui émerge ? Des restaurateurs portent des repas aux soignants en s’alliant aux producteurs locaux, des entreprises réorganisent leur production pour produire masques ou gel hydroalcoolique, des particuliers s’organisent pour aider nos anciens, des coachs professionnels proposent bénévolement leur support. Sous des formes différentes, ce sont des réactions spontanées, collaboratives, d’aide, de mise en relation, de support. Elles portent les caractéristiques de la part de féminin que nous avons en nous.
Vous l’aurez compris, il ne s’agit donc pas de choisir notre part de masculin OU notre part de féminin, mais de rééquilibrer les deux. Rééquilibrons à l’intérieur de nous-même nos parts de masculin et de féminin, car l’intérieur se voit dans les comportements et événements extérieurs. C’est cela qui nous met en puissance d’agir. Un exemple parmi tant d’autres est celui de l’entreprise FEMSO, PME de la région toulousaine, qui était en grande difficulté car très dépendante de ses principaux clients du secteur aéronautique, eux-mêmes en situation délicate. Elle produit maintenant des visières de protection, ce qui lui permet d’être utile et de ne pas péricliter. Voilà le féminin à l’œuvre : la créativité (pour imaginer un changement de production et pour concevoir les visières), la relation et le soin aux autres (les visières protègent de la contamination tout en permettant d’agir et de communiquer), le sens, la contribution à une action plus large (faire le bien, protéger). Le masculin aussi est à l’œuvre, dans ses aspects d’organisation et de structure (pour réorganiser la production, pour gérer les conditions de travail en toute sécurité), de règles (pour que les visières soient homologuées).
Plus ces parts de nous-même coexistent individuellement et collectivement, plus nous orientons notre futur vers ce que nous souhaitons. Personne n’a dit que c’était facile, mais, comme le dirait La Française des Jeux, « 100% des gagnants ont tenté leur chance« .
Il s’agit donc de se mettre en mouvement, à notre mesure.
Les événements montrent qu’il ne sert à rien de planifier car nous sommes dans l’imprévisible. Notre enjeu est d’accepter l’incertitude. Stop aux prévisions à-tout-va qui nous maintiennent dans un futur théorique au lieu de vivre le présent qui, lui, est bien concret. Vivons le temps de maintenant et soyons attentifs à ce qui émerge à l’intérieur de nous et autour de nous.
Pour orienter notre futur vers ce que nous souhaitons, c’est comme un balancier : il nous revient ce que nous envoyons. Si aujourd’hui nous coupons brutalement les contrats et la qualité de relation avec nos fournisseurs, alors ce qui pourrait nous revenir est l’absence d’aide lorsqu’il y en aura besoin. C’est un principe de systémique : ce qui se passe au niveau individuel se passe également au niveau collectif, et inversement. Ce que nous générons chez nos fournisseurs apparaîtra probablement pour nous d’une façon ou d’une autre.
Nous sommes tous interdépendants car le monde est un système. En tant qu’entreprise ou en tant qu’individu, croire que nous pouvons continuer à agir pour notre bénéfice exclusif est une illusion. « L’avenir, tu n’as pas à le prévoir, mais à le permettre » disait Saint-Exupéry. Le futur vers lequel nous voulons aller se crée maintenant. Agissons à notre mesure, en conscience et en cohérence. Transformons-nous, nous-même et nos entreprises, pour transformer le monde !
Bénédicte Costedoat-Lamarque, Executive Coach des Organisations, Conférencière et Auteur, Fondatrice de BE CHANGE LIVE